Tant de choses à dire, mais le tout reste enfermé [L.]

Perdue dans ses pensées, Cierra avait gardé le silence tout le long du chemin tandis que sa meilleure amie et colocataire était venue la chercher à l’hôpital. Elle l’avait accueilli avec un certain soulagement, renforcé par le fait qu’Anton était parti quelques instants auparavant. Elle n’était pas particulièrement encline à ce que la fière et forte jeune femme se retrouve face à face avec celui qui l’avait conduit à l’hôpital, littéralement et métaphoriquement parlant. Elle l’aurait accueilli les bras ouverts si son bras ne la faisait pas souffrir et si ce petit trésor en elle ne lui causait pas tant de tourments, lui serrant l’estomac comme une veille d’examen. Toujours est-il qu’elle l’avait accueilli avec un soupir de soulagement et de reconnaissance à l’instant même où la silhouette de LucaBella était apparue dans son champ de vision. Les mots de réconfort et d’inquiétude s’étaient mêlés dans sa bouche mais Cierra n’avait pas eu le cœur de lui affirmer que les hôpitaux, elle ne les connaissait que trop bien. Que ce n’était pas la première fois qu’elle y mettait les pieds et que visiblement, elle en pousserait sans doute très prochainement les portes.

« Home sweet home. » murmura-t-elle alors que c’était les portes de leur cosy appartement qu’elle poussait. Ni une, ni deux, elle alla s’installer dans leur sofa, ne pouvant s’empêcher de grimacer tandis que des douleurs lancinantes irradiaient de ses côtes jusqu’à chaque partie de son corps. Elle allait avoir de jolis bleus mais le plus important était que rien n’était cassé. Rien de perdu également ? Elle s’humecta les lèvres tandis qu’elle observait avec une certaine appréhension sa meilleure amie venir s’installer à ses côtés. L’heure des explications allaient bientôt venir et elle n’allait pas pouvoir repousser l’inévitable. « Merci d’être venue me chercher. »

Un sourire poli comme elle seule avait le secret. Un regard timide qui se dérobe comme Cierra sait si bien les faire lorsqu’elle appréhende la suite des évènements. Que pourrait-elle lui répondre ? Pouvait-elle seulement lui cacher cette part de son passé qu’elle devinait et qui venait de la rattraper ? Pouvait-elle lui demander des conseils pour quelque chose qu’elle ‘navait pas vécu et qu’aucune italienne ne souhaitait vivre ? Elle ignorait ce qu’elle devait faire. Elle ne savait pas encore que faire de cette petite chose qui grandissait en elle et dont elle n’avait jamais soupçonné l’existence.

Inconsciemment, elle posa ses mains sur son ventre, comme si elle pouvait sentir son cœur battre dans le creux de sa paume alors que c’était scientifiquement impossible. Elle s’humecta les lèvres et avec crainte lui demanda : « Qui t’a prévenu ? » C’était son truc à elle ça. Poser des questions pour éviter d’y répondre. Tellement plus aisé. « En tout cas, ça m’apprendra à ne pas regarder avant de traverser. » tenta-t-elle de plaisanter doucement, sans l’envie. Si elle n’avait pas traversé à cet instant précis, que ce serait-il passé ? Quelqu’un d’autre aurait-il été renversé ? Comment l’aurait-elle découvert ? En vomissant son petit déjeuner sur les clients d’Ottavio ? Il avait été assez coulant avec elle mais là, ça aurait été la goutte d’eau qui aurait fait déborder le vase.

Cierra se mordilla la lèvre. Ottavio était au courant. Evidemment, après tout l’accident avait eu lieu devant le café. Par contre, elle craignait qu’il ne la surprotège encore davantage. Plus qu’une crainte, elle savait parfaitement que c’est ce qui allait arriver. Ca la changeait évidemment des relations passées qu’elle avait pu développer avec les hommes, et notamment son mari, mais il demeurait qu’elle craignait qu’il ne s’inquiète pour elle de trop. Ce n’était pas la première fois qu’elle finissait à l’hôpital bien amochée. Elle était habituée. Sauf que cette fois-ci, il y avait quelque chose de différent et si quelqu’un l’apprenait …

Elle haussa les épaules à la question de sa meilleure amie et ses yeux allèrent dans le vague. Tout était assez flou dans son souvenir et elle se demandait si son esprit volontairement maintenait ce flou pour éviter qu’elle ne panique à chaque crissement de pneu, à chaque langue d’asphalte. « Je traversai la route. Je ne sais plus pourquoi. J’ai entendu la voiture arriver trop tard. Et je me suis sentie percutée. La première chose que j’ai vue a été le visage du conducteur. » Elle ne put empêcher ses lèvres minces de s’étirer en un délicat sourire en repensant à Anton. Le sourire s’évapora ensuite en pensant à l’hôpital. Ce qu’elle avait appris. Ce qu’elle ne pensait jamais imaginer.

« Il m’a conduit à l’hôpital. D’après le médecin, ça devrait aller. Je n’ai rien de cassé. Un accident sans conséquence. Nul besoin de s’inquiéter. » Elle secoua légèrement ses longs cheveux blonds qui se reflétait sous les rayons bienveillants de l’astre solaire. Plongeant son regard dans les magnifiques yeux vairons de sa meilleure amie et colocataire, elle eut un instant d’hésitation. Devait-elle lui révéler la suite ? Comment le prendrait-elle ? Elles se connaissaient à peine au final. Bien sûr l’entente c’était faite de manière immédiate. Et Cierra a su immédiatement qu’elle pourrait lui faire confiance. Elle lui avait révélé les raisons de son départ et avec subtilité, Bella lui avait montré son soutien, la poussant toujours plus aux confidences. Et pour la première fois depuis qu’elle avait quitté ses amies de lycée, Cierra s’était sentie en communion avec une fille. Un peu la sœur jumelle qu’elle aurait aimé avoir.

Pourquoi le lui cacher alors ? Parce qu’elle avait honte. Parce que peut être, elle aurait dû s’en rendre compte avant. Parce que ce n’était pas facile ce genre de chose. Sans doute surtout parce qu’elle ne savait pas quoi faire. Etait-elle prête pour tenir ce rôle ? Et sans le père à ses côtés ? Elle releva son regard et lut dans les yeux de sa meilleure amie et colocataire que de tous, c’était la personne sur laquelle elle pouvait compter les yeux fermés. « Il y a autre chose. » C’était difficile de mettre les mots dessus. De les dire à voix haute. Elle l’avait fait dans cette chambre aseptisée. Mais c’était différent de le dire à un quasi inconnu que celle avec qui elle allait partager les nausées du matin et les envies fulgurante. Dans l’hypothèse où elle décidait de le garder évidemment. Elle posa la main sur son ventre légèrement rebondi – maintenant elle s’en rendait compte – et sourit tendrement en pensant au petit haricot qui grandissait en elle : « Je suis enceinte. »

Cierra était en proie à des sentiments contradictoires qui la perdait encore davantage. Son regard perdu sur son ventre très légèrement rebondi. Un œil extérieur pourrait croire qu’elle avait abusé du chili con carne la veille, pas un seul moment qu’elle portait la vie en elle. La jeune fille avait elle-même du mal à imaginer cet état de fait. Comment le pourrait-on avec une femme célibataire depuis deux mois et qui ne semblait pas particulièrement intéressée par les représentants du sexe masculin autour d’elle ? Elle ne put s’empêcher de sourire devant les diverses réactions de sa colocataire et meilleure amie. Elle avait tellement changé de la petite fille qui collait les baskets de son cousin lorsqu’elle n’était encore que des enfants. LucaBella était devenue une magnifique jeune femme des plus séduisantes. Cierra se demandait même la raison pour laquelle les hommes ne se rendaient pas compte de la séduction de ses grands yeux vairons qui en damnerait plus d’un. Et comment son cousin pouvait être aveugle à ce point ? LucaBella avait tout pour plaire aux hommes, seulement elle était un peu trop brusque, un peu trop cash et sensiblement rude pour eux. Peut être la raison pour laquelle elles s’entendaient si bien et pour laquelle la sicilienne l’avait accueilli avec tant de chaleur et de simplicité, comme si c’était normal, comme si leur amitié avait toujours existé. Elles se complétaient dans leurs différences.

Un frisson parcourut son échine lorsque sa colocataire prononça le nom de son mari. Elle n’y pouvait rien, c’était toujours ainsi lorsqu’on l’évoquait. Elle ignorait si elle frissonnait de peur ou d’amour qui continuait à perdurer après tout ce temps, après tous les coups que la vie avait infligé à leur couple. La psychologue qui l’avait recueilli pendant un temps lui avait avoué que souvent les hommes violents exerçaient une attraction sur leur victime, telle la lumière avec les papillons de nuit. Ces derniers savaient se brûler les ailes mais ne pouvaient s’empêcher de rejoindre la source de leur attraction. Il en était de même pour le couple Loconte. Elle se sentait mourir si elle n’était pas à ses côtés. Et lorsqu’elle était dans ses bras, elle savait que la mort soufflait son souffle glacial dans le creux de leurs oreilles.

« Oui. » murmura-t-elle. C’était fou mais ça ne pouvait être que lui. « Je ne croule pas vraiment sous les propositions. » plaisanta-t-elle d’un ton sui se voulait léger mais faillissait à son but. Elle prit une profonde inspiration et fronça les sourcils, imaginant parfaitement l’expression sur le visage de son amie. Elles ne vivaient ensemble que depuis deux mois, certes, mais elle avait l’impression qu’elles se connaissaient depuis toujours. Ce qui était vrai d’une certaine manière. La future mère se rongea le pouce visiblement en proie à une profonde réflexion. Elle avait peur. Non, elle était terrifiée. Et elle ne savait pas quoi faire.

Finalement, elle plongea son regard dans celui de LucaBella et ne put s’empêcher de se sentir soulagée. Elle savait qu’elle pouvait compter sur elle, que jamais elle ne la laisserait tomber et qu’elle serait toujours la première à lui tendre la main. Sa réaction face au conducteur qui l’avait renversé suffisait en lui-même pour le prouver. « Qu’est ce que tu ferais à ma place ? » C’était difficile pour elle de l’envisager mais il fallait se rendre à l’évidence. Elle était une mère célibataire. Le père de l’enfant était quelque part dans une prison italienne à purger sa peine et très certainement en train de faire passer un mauvais quart d’heure à son compagnon de cellule. Elle ne touchait qu’un salaire de serveuse, certes plus élevé que ce à quoi elle pouvait prétendre en raison de son manque total de don en la matière. Elle vivait dans un appartement suffisant pour deux mais trop petit pour trois. Elle baissa son regard, honteuse d’envisager cette solution et se détestant de le faire. Mais avait-elle la force de le garder ? Le souci était qu’elle l’aimait déjà et plus les minutes passaient, plus la joie prenait le pas sur la terreur qui la tétanisait jusqu’à présent.