Le temps des cerises [P.]

Cierra envoya un furtif sourire à Ottavio en pénétrant dans le café. Elle s’excusa en passant près de lui mais il lui fit comprendre d’un mouvement de tête que cela n’était pas grave et le regard inquiet dont il l’enveloppa la fit se sentir encore plus mal à l’aise. Elle ne méritait pas qu’il la regarde ainsi. Elle était une bien piètre employée et elle ne lui appartenait rien de bon. Elle passa rapidement dans la salle des employés pour y déposer son sac sous clé et revint s’installer derrière le comptoir. Son patron s’approcha d’elle et lui demanda si tout allait bien. Dans pareille hypothèse, elle se contenta d’hocher positivement la tête avant de confirmer à l’oral tandis qu’elle constatait que cela ne lui suffirait pas. Elle allait bien, malgré le fait qu’elle venait de passer la mâtinée avec la tête au dessus des toilettes de l’appartement. Heureusement LucaBella était déjà partie au travail et n’avait donc pas eu droit à ces harmonieux bruits matinaux, contrairement aux voisins sans le moindre doute. Mais elle n’avait pas besoin de le lui préciser. Elle se dirigea vers la terrasse pour y débarrasser les consommations et leur prix posés négligemment, faisant mine de ne pas remarquer le regard d’Ottavio. Finalement ce dernier la laissa et partit de son établissement afin de vaquer à ses occupations. Cierra prenait le relais.

C’était un endroit convivial et agréable. Le cadre était intimiste et léger, accueillant aussi bien les touristes que les locaux. Mais avec une petite préférence pour les locaux. Cierra aimait cet endroit où elle se sentait en sécurité, comme un refuge au cœur de la tempête qui rongeait son cœur et ses craintes. L’odeur réconfortante du café était une ancre à laquelle se raccrocher tout comme la présence immuable de son employeur dont la famille possédait les lieux depuis des décennies. Lorsque votre avenir était aussi incertain que celui de la jeune continentale, c’était un point non négligeable. Tandis que tous les clients étaient servis et discutaient joyeusement de sujets aussi divers que variés, la jeune femme entreprit de ranger quelque peu le comptoir et de nettoyer les grains de café épars. Si Ottavio gérait à la perfection son café, il était un peu plus négligé du point de vue rangement.

Elle récupéra les tasses dans l’eau et les essuya avant de les ranger sur le côté, faisant aller son pouce sous son annulaire gauche, vérifiant que son alliance n’avait pas filé dans l’eau, ayant toujours été un peu trop grande pour elle. Mais comme à chaque fois, son cœur manquait un battement. Elle l’avait perdu. Avant de se souvenir qu’elle ne l’avait pas perdu mais qu’elle était désormais accrochée à une chaine dissimulée sous son débardeur blanc. Elle était parvenue à la retirer mais n’avait pas encore trouvé la force de s’en débarrasser à tout jamais. Elle lança un léger sourire à la cliente du comptoir avant de passer un coup d’éponge sur ce dernier, saluant le vieil Aldo qui se tenait toujours au même endroit depuis des lustres.