Penelope - Pour un infidèle...

Ses cheveux commençaient à grisonner par endroits, dégradant petit à petit ses impeccables mèches noires. Dans sa recherche de la perfection, il n'avait su tolérer le moindre écart et cette preuve irréfutable de son âge qui avoisinait maintenant la quarantaine le rendait grognon à chaque fois que quelqu'un blaguait à ce propos. Penelope, elle, trouvait ça adorable. Voir une faille chez cet homme qui jouait à faire l'invincible en permanence lui plaisait. Elle avait alors un peu moins l'impression qu'il était trop bien pour elle. Dans son sommeil, il se retourna et offrit son visage à la contemplation de la jeune femme. Des traits bruts, une barbe naissante qu'il s'efforcerait d'effacer dès son passage dans la salle de bain; Penelope aimait souvent le comparer à Clive Owen, à cause de la virilité animale qu'ils dégageaient tous les deux. Délicatement, elle vint s'assoir sur un coin du lit et enfila habilement ses bas tout en ne pouvant détacher son regard de lui. Ca ne faisait aucun doute, il était bel et bien l'homme de sa vie. Elle lui adressa alors un sourire qu'il ne pouvait voir avant de se lever. Le calendrier glissé sous une pile de bouquins lui rappela alors la tâche si difficile qui l'attendait. Et pourtant, comment aurait-elle pu oublier? Ca en était devenu une habitude, trop pénible. Espérer à chaque fois pour mieux être déçue après la fatiguait nerveusement.

L'attente, c'était bel et bien ce qui rendait l'épreuve plus dure encore. Elle passa le temps en appliquant une couche de rouge brillant sur ses lèvres, achevant ainsi sa préparation pour le brunch qui les attendait dans un peu plus d'une heure. Elle se devait d'être parfaite. La moindre erreur, la moindre faute de goût ne la ferait que se sentir plus mal à côté de son mari qui serait comme à son habitude impeccable, à l'aise, charismatique et bien sûr, au centre de toutes les attentions. Elle s'observa longuement dans la glace, vérifiant le plus infime détail, de ses longues mèches bouclées à l'application de son trait d'eye-liner, avant de tourner immanquablement les yeux vers l'objet de toutes ses attentions. Une seule ligne était apparue. Désormais, elle n'avait plus besoin de lire la notice pour savoir ce que cela signifiait, et elle jeta le bâtonnet à la poubelle. Elle ne demandait pourtant pas grand chose, non? Une deuxième ligne, juste ça, et sa vie serait à jamais changée. Pourquoi n'avait-elle pas le droit à ce bonheur?

Elle entendit les draps se froisser, puis un craquement sec qui lui signifia que son mari venait de s'étirer et qu'il allait se lever. Il savait que c'était le jour du test, il n'avait pas besoin d'être une femme pour savoir compter les jours. Penelope se demanda comment elle allait pouvoir lui dire, une fois de plus. Lorsqu'il apparut dans l'encadrement de la porte, elle n'eut pas besoin de mots. Les larmes avaient parlé d'elles-mêmes. Il lui jeta un regard rapide et cette fameuse pointe de déception transperça ses prunelles vertes.

- Arrange ton maquillage, ce mascara n'est décidément pas waterproof.

Il partit sans plus d'égards vers la cuisine. Penelope ressentit une douleur intense transpercer son cœur. Il n'avait pas toujours été comme ça. Lors des premiers échecs, il la prenait dans ses bras, lui assurait que ça n'était qu'une question de patience. Mais son égo commençait à être piétiné et il prenait de plus en plus mal la chose, jusqu'à en être devenu si froid dans ses réactions. Ils le voulaient tellement cet enfant, que leur couple en venait à s'étioler au fur et à mesure des mois qui passaient sans que le ventre de la jeune femme ne s'arrondisse. Avant, être tous les deux ne les dérangeait pas, au contraire. Leur amour leur suffisait amplement. Mais maintenant, ils avaient tous les deux envie de plus. Envie de transmettre tout cet amour qu'ils avaient l'un pour l'autre, de le concrétiser. Elle avait envie d'une petite Penelope avec beaucoup beaucoup de Jonathan.

Sur les conseils de son mari, elle gomma les dégâts de ses larmes et appliqua les retouches de son maquillage. Elle mourrait d'envie de prendre une douche, laisser l'eau claire qui coulait sur son corps la laver de toutes ses pensées négatives. Mais elle ne pouvait pas. Elle avait fourni trop d'efforts pour être présentable. Son regard croisa celui de son reflet et elle remarqua l'éclat de tristesse qui s'en dégageait. Cette femme ne lui ressemblait plus. Elle était trop pâle, trop fatiguée. Elle ne dormait plus si bien il fallait dire. Elle avait toujours tout fait pour être la femme qu'il voulait pourtant, et elle accrocha difficilement un sourire sur son visage avant de le rejoindre en cuisine. En la voyant débarquer, maîtresse de ses émotions, il lui décocha son plus radieux sourire.

- Tu es sublime dans cette robe.

Penelope soupira de soulagement, à l'intérieur. Elle était encore à ses yeux la femme qu'il voulait à ses côtés. Elle était encore belle, désirable, suffisante à son bonheur. Elle ne vivait que pour lui, par lui. Voir la flamme dans son regard s'éteindre à son approche serait la plus énorme des catastrophes. Après tout, ne lui disait-il pas sans arrêt qu'il était son Ulysse? Et Ulysse et Penelope, ce couple mythologique n'était-il pas l'un des plus exemplaires et des plus durables de l'antiquité? Leur fidélité avait traversé les âges. Mais Jonathan n'était pas Ulysse. Les choses n'étaient pas si simples.

Penelope était loin d'être une femme colérique. Des deux, elle était la plus calme, la plus posée. Elle relativisait, raisonnait son mari lorsqu'il s'emportait. Mais aujourd'hui, dans un geste de rage, elle envoya valser un cadre contenant une photo d'eux deux qu'il lui avait offert pour leur dernier anniversaire de mariage. 10 ans passés ensemble, cela ne comptait-il donc pas? Elle lâcha un cri de colère. Non, ça ne pouvait pas être vrai. Pas après tout ce qu'ils avaient vécu.

Elle se souvenait encore sans peine de leur première rencontre. A l'époque, elle venait de fêter son 23ème anniversaire et son petit-ami, Guillaume, avait cru bon de l'emmener dans un bal pour une œuvre caritative. Elle se rappelait combien elle s'était ennuyée durant toute la soirée, comme à chaque fois qu'elle était avec Guillaume. Cela faisait deux ans qu'ils étaient ensemble et la lassitude l'avait gagnée depuis déjà bien longtemps. Mais la pression qu'exerçait sa mère sur elle, qui adorait le jeune homme issu de l'aristocratie anglaise, tout comme elle, et sa peur de la solitude l'empêchaient de rompre. Mais ce soir-là, quelque chose l'avait tiré de son ennui. Ou plutôt quelqu'un. Dès que le docteur Jonathan Andrews avait pris la parole pour soutenir la cause de l'association, elle sut que quelque chose venait de changer. Son charisme, sa présence, son regard. Elle sut à cet instant précis qu'elle ne pourrait jamais l'oublier. Et elle eut la chance qu'il vienne la voler aux bras de son prince charmant de l'époque pour une valse mémorable.

Il venait de terminer son internat, il était désormais résidant dans un des plus prestigieux hôpitaux de Londres et surtout, il la regardait comme aucun homme ne l'avait jamais fait. Il était plus vieux, plus mature, plus viril que tous les garçons qu'elle avait jamais fréquenté et le lendemain, elle trouva enfin le courage de quitter son jules qui ne lui convenait plus. Le mois suivant, elle le présenta à sa mère qui le détesta d'office, par principe. L'année suivante, l'épousa. Ne regarda plus jamais que lui et personne d'autre. Mais c'était sans compter sur la nature des hommes...

Lorsqu'il était venu lui annoncer ce matin-là qu'il l'avait trompée à plusieurs reprises, elle avait fait tomber son croissant dans son bol de café. Sa nuisette s'était retrouvée tâchée à de multiples endroits, et elle s'était même légèrement brulé la jambe mais aucune douleur ne pouvait être plus forte que celle qui enserrait son coeur à cet instant précis. Elle n'avait pas su parler, elle n'avait pu que le fixer, indignée, outrée, blanche comme un linge. Il lui expliqua confusément que s'il avouait tout, c'était parce qu'il refusait qu'il y ait des secrets entre eux. Il voulait qu'elle lui pardonne, il s'en voulait terriblement et il voulait repartir sur de bonnes bases. Il avait même apporté un bouquet de roses. Devant son mutisme, il lui avait expliqué. L'annonce de sa stérilité l'avait rendu très mal dans la peau, il avait l'impression d'être un moins que rien, il voulait se prouver qu'il pouvait encore maîtriser les choses, plaire. Il avait croisé le chemin de cette fille... Avant même qu'il n'ait prononcé son prénom ou donné encore plus de détails sordides, elle avait filé en direction de la chambre et fermé la porte à double tour. Alors qu'elle entendait ses pas derrière la porte, et que le son de sa voix lui parvenait, elle avait mis le premier CD qui passait, une symphonie de Mozart, dans la chaine hifi et monté le volume au maximum.

Et dans ce vacarme, elle sentait qu'elle se noyait. Elle ne comprenait pas ce qui lui arrivait. Ne pouvait pas relativiser cette fois-ci. Lorsqu'elle avait appris qu'elle n'aurait pas d'enfants avec Jonathan parce qu'il ne pouvait pas procréer, elle s'était consolée en se disant qu'elle l'avait, lui. Que c'était le plus important. Lui, visiblement, avait choisi d'aller voir ailleurs si l'herbe était plus verte. Elle n'y croyait pas. Ou plutôt, y croyait trop. Ses yeux se posèrent sur le lit et elle ne put réprimer une expression de dégout. L'avait-il amenée ici? Avaient-ils fait ça dans leurs draps? L'avait-elle fait jouir sous la photo de leur mariage? Avait-elle pris une douche dans leur salle de bain? S'était-elle essuyée avec sa serviette? L'imagination devenait sa pire ennemie, et elle pleura enfin. De douleur, d'incompréhension. Elle avait été l'épouse parfaite durant toutes ses années. Elle avait été de toutes les réceptions, n'avait rien dit lorsqu'il se levait en pleine nuit pour une urgence, un carambolage sur l'autoroute. Elle l'avait épaulé, assisté, encaissé ses crises de colère, consolé lorsqu'il pensait être responsable de la mort d'un patient. Elle avait été là pour lui. Et il l'avait abandonné. A cet instant précis, elle sut avec certitude qu'elle ne pourrait plus l'aimer. Et qu'elle ne serait jamais plus la même.